Majority rule: political risks and cultural dynamics.

L’exercice de la majorité participe de la ritualisation de la vie politique en Occident. Jusqu’à quel point et pour quelle raison la « loi de la majorité » peut-elle être considérée comme un apport positif ? La loi de la majorité repose sur une abstraction qui a pour principe de traiter également to...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Egon Flaig
Format: Article
Language:deu
Published: Association Espaces Temps 2004-06-01
Series:EspacesTemps.net
Online Access:http://www.espacestemps.net/document214.html
Description
Summary:L’exercice de la majorité participe de la ritualisation de la vie politique en Occident. Jusqu’à quel point et pour quelle raison la « loi de la majorité » peut-elle être considérée comme un apport positif ? La loi de la majorité repose sur une abstraction qui a pour principe de traiter également tous les individus quelles que soient leurs autres caractéristiques. Elle n’implique pas la démocratie et peut contribuer au fonctionnement d’un pouvoir fondamentalement aristocratique. Inversement, elle est souvent absente de sociétés où l’égalité politique prévaut. Sa spécificité consiste avant tout à s’affranchir de l’unanimité tout en rendant les décisions applicables par tous. Même s’ils ne sont pas les inventeurs de l’idée de majorité, les anciens Grecs méritent qu’on les observe à cet égard. Ils ont abondamment utilisé cette manière de décider et il en est question dès l’ Odyssée . Aujourd’hui, le communautarisme menace la règle de la majorité et son principe est remis en question. Il devient plus urgent de comprendre en quoi unanimité et majorité s’opposent. Certains courants historiographiques ont opposé la communauté, à la société, qui seule reconnaîtrait les individus. Or, si une telle vision évolutionniste peut être vue comme simpliste, il reste que le principe du consensus domine dans le processus de prise de décision observable dans les sociétés étudiées par les anthropologues. La logique du consensus n’est pas inintelligible. Elle se fonde sur deux éléments : le niveau d’intensité et la réciprocité différée. Une forte mobilisation d’un petit groupe peut lui permettre d’emporter la décision. Cela suppose, de la part des autres, une disposition à céder, qui ne peut fonctionner que parce qu’elle est insérée dans la culture locale comme une conduite socialement acceptable, ce qui devient possible si la concession des uns aujourd’hui a de bonnes chances d’être compensée demain par une concession des autres. Le consensus rend négligeables les risques de la décision pour la cohésion politique du groupe. En revanche, le coût de la décision est lui élevé en temps et en énergie dépensées, notamment si des militantismes d’intensités comparables et opposées se manifestent. Le risque de paralysie est grand et la tentation existe que l’on cherche à éviter les facteurs de division empêchant la prise de décision en homogénéisant au maximum le groupe délibératif. On peut atteindre un consensus par un accord sur les options présentées par les plus militants, mais aussi par un compromis situé à un niveau intermédiaire insatisfaisant pour tous, ce qui mine la possibilité d’une réciprocité différée, ou encore par le choix de la minorité de rejoindre la majorité, ce qui rompt avec le principe du niveau d’intensité. On évite alors une situation où soit la prise de décision n’aurait pas lieu, soit on serait contraint d’avoir recours à des critères qualitatifs, qui sont presque toujours inopérants. Cela peut déboucher sur la violence, en raison de la frustration de la minorité. Ces actes de résistance d’une minorité (bien étudiés pour l’époque médiévale) ont été considérés par des historiens du Droit et même par des sociologues (par exemple Georg Simmel) comme la naissance violente de la règle de majorité ; selon cette conception, cette règle apparaît comme une confrontation simulée qui donne à voir le rapport de forces et dissuade de recourir à la violence. À l’encontre de cette thèse, on peut objecter que les confrontations étaient la conséquence d’une attente, très forte de la part de la majorité, de ce que la minorité se joigne volontairement à l’option majoritaire ; cette attente suppose acquise l’idée que tous, minorité incluse, devront appliquer la décision prise par la majorité. La loi de la majorité permet d’accélérer la prise de décision, ce qui accroît la réactivité du système politique mais incite aussi à vouloir ainsi changer l’ordre politique et social. Cela peut conduire à rendre les confrontations au sein de l’assemblée délibérative et dans la société plus heurtées, voire franchement violentes. La rapidité augmente le risque de décisions irréfléchies, l’éloquence des orateurs peut devenir indûment déterminante, la stabilisation des camps dans des partis stables peut dégénérer en guerre civile. On peut faire l’hypothèse que la pratique de loi de la majorité a des effets dynamiques sur l’ensemble de la culture politique : elle tend à faire de la politique une sphère distincte, institutionnalisée et en expansion. Elle conduit à terme à une autolimitation comportementale des gagnants et des perdants. Le consensus et la majorité se distinguent aussi par le type de rhétorique qu’ils favorisent. Dans le premier cas, le langage figuré et allusif dominent, dans l’autre l’argument précise et explicite. La loi de la majorité privilégie le pouvoir de la loi sur la puissance de l’ordre, ce qui suppose d’identifier le politique et de chercher à le connaître. En conclusion, il ressort qu’on ne peut aborder les processus de prise de décision d’un strict point de vue procédural et avec des raisonnements exclusivement juridiques. Bien au contraire, toutes les ressources interdisciplinaires de l’anthropologie politique doivent être mobilisées par qui veut problématiser, sans a priori ces questions.
ISSN:1777-5477