La Nouvelle Manga et le cinéma
Cet article montre que concevoir des bandes dessinées (BD) est fondamentalement un processus narratif. Par conséquent, le tournant pris par la BD pour s’éloigner de la littérature en direction des arts visuels comme le cinéma a aussi été le fait des bédéistes qui ont adapté leur esthétique visuelle...
Main Author: | |
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Format: | Article |
Language: | English |
Published: |
University of Alberta
2016-09-01
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Series: | Alternative Francophone |
Subjects: | |
Online Access: | https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/28212 |
Summary: | Cet article montre que concevoir des bandes dessinées (BD) est fondamentalement un processus narratif. Par conséquent, le tournant pris par la BD pour s’éloigner de la littérature en direction des arts visuels comme le cinéma a aussi été le fait des bédéistes qui ont adapté leur esthétique visuelle en recourant à des récits innovants: le "tournant visuel" n’est pas simplement un rejet du littéraire et des aspects textuels de la BD, mais également un réajustement vers de nouveaux récits non séquentiels (comme ceux de la nouvelle vague). C’est seulement de cette façon que l’on peut expliquer le paradoxe selon lequel l’intérêt autoproclamé de la nouvelle manga pour la narration plutôt que l’illustration ne s’aligne pas sur le postulat critique du "tournant visuel" depuis le début des années 1990. Dès lors, qualifier la nouvelle manga de « cinématique » revient à faire référence à la fois à des techniques visuelles particulières qui sont généralement associées au cinéma, mais aussi à un type particulier de narration qui est caractéristique de la nouvelle vague et du cinéma japonais. Il y a des similarités indéniables entre la structure narrative en épisode de la nouvelle vague et ce que David Desser appelle « le paradigme classique » du cinéma japonais, dont le meilleur exemple est le cinéma d’Ozu. Desser compare son mode narratif à ceux du théâtre Kabuki et des romans japonais. Les films d’Ozu perturbent la linéarité narrative, soulignent les manipulations spatiales, recourent à des ellipses temporelles, emploient une structure épisodique et évite les moments paroxystiques afin d’explorer la banalité de la vie quotidienne. Frédéric Boilet, auteur du manifeste de la Nouvelle Manga, préconisait l’utilisation par la nouvelle manga d’histoires ordinaires de la manga japonaise pour contrebalancer l’emphase excessive sur l’illustration qu’il trouvait typique de la BD française. Paradoxalement, cependant, l’incorporation d’histoires de la vie quotidienne n’a pas résulté en un surcroît d’importance accordée à l’histoire; bien au contraire: en fait, la narration relâchée et épisodique de la nouvelle manga, voire sa quasi-absence, a servi à recentrer l’attention sur le plan visuel.
Abstract
This article argues that drawing in comics is, fundamentally, a narrative process. Thus, the turn in comics away from the literary, towards the visual arts (especially cinema) has also been a result of comic artists aligning their visual aesthetics with new innovative narratives: the visual turn is not merely a rejection of the literary or textual aspect of comics but a readjustment to new non-sequential narratives (like those of the nouvelle vague). Only in this way can we explain the paradox that nouvelle manga’s self-proclaimed interest in storytelling over illustration does not seem to fit with the general critical agreement about a ‘visual turn’ in comics since the early 1990s. To call nouvelle manga ‘cinematic’, then, is to refer not only to particular visual techniques that we have come to associate with cinema, but also to a particular type of storytelling characteristic of the nouvelle vague and of Japanese cinema. There are undeniable similarities between nouvelle vague’s episodic narrative structure and what David Desser calls ‘the classical paradigm’ of Japanese cinema, best exemplified by Ozu’s films whose narrational mode Desser compares to Kabuki plays and Japanese novels. Ozu’s films disrupt narrative linearity, stress spatial manipulations, rely on temporal ellipsis, employ an episodic structure and avoid climactic moments to explore the mundaneness of daily life. Frédéric Boilet, author of the Nouvelle Manga manifesto, wanted nouvelle manga to use the everyday stories of Japanese manga to counterbalance the excessive emphasis on illustration he found in French BD. Paradoxically, however, the incorporation of everyday stories does not result in a greater emphasis on storytelling; just the opposite: in fact, nouvelle manga’s loose, episodic narrative or lack of narrative has served to refocus attention on the visual plane. |
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ISSN: | 1916-8470 1916-8470 |