Pourquoi l’industrie automobile n’a pas inventé la bioéthique ?

Ce texte est une synthèse concernant le domaine du médicament au xxe siècle. De la désignation « agents thérapeutiques », expression courante au début du xxe siècle, à celle de « produits de santé », expression consacrée de la fin du xxe siècle, l’objet principal consiste à proposer une vue sectorie...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Christian Bona
Format: Article
Language:fra
Published: Centre de Recherches Historiques
Series:L'Atelier du CRH
Subjects:
Online Access:https://journals.openedition.org/acrh/873
Description
Summary:Ce texte est une synthèse concernant le domaine du médicament au xxe siècle. De la désignation « agents thérapeutiques », expression courante au début du xxe siècle, à celle de « produits de santé », expression consacrée de la fin du xxe siècle, l’objet principal consiste à proposer une vue sectorielle de la prise de conscience, de l’appréciation et de la « gestion » du risque dans le domaine de l’innovation pharmaceutique. Son auteur attire l’attention sur ce qu’on peut designer comme « le double paradoxe » de la régulation de l’innovation thérapeutique. Les catastrophes sanitaires liées à des médicaments participent à une mise en agenda et à une régulation des risques potentiels dans le secteur du médicament. Pour tous les pays occidentaux cette régulation fait appel pour l’essentiel à la puissance de l’État. Si cette régulation semble de prime abord encadrer des risques industriels, elle participe en même temps à construire un espace pour la recherche et l’innovation qui s’affranchit de la juridiction régulière et limite la responsabilité des investigateurs. La deuxième partie du paradoxe consiste dans le fait que l’apparition des associations de malades qui contribuent puissamment à l’appréhension et à la nouvelle gestion des risques marque, en même temps, le début d’une critique et d’un démantèlement des instances étatiques de régulation notamment aux États-Unis. Ainsi on peut concevoir d’une certaine manière que la bioéthique a pu établir ce que les industries pharmaceutiques ne parvenaient que difficilement à faire admettre : un espace de responsabilité juridique restreint et reconnue pour l’innovation thérapeutique. Ici, la gestion du risque choisi même dans un essai non thérapeutique s’apparente à un aléa thérapeutique. En retour, les associations de malades dans leur lutte prolongée pour les droits civiques des patients aboutissent à assouplir les règles strictes d’évaluation et de mise sur le marché d’un médicament, réalisant ainsi une demande formulée depuis longtemps sans succès par l’industrie pharmaceutique. Ainsi, et aussi contradictoire que cela puisse paraître, certaines des positions des associations rejoignent et la rhétorique du laisser-faire de l’économie libérale en faveur d’une régulation économique des marchés et les sirènes de l’industrie pharmaceutique chantant la plainte de la sur-réglementation qui empêche l’innovation. Pour sa part, peut-être que l’industrie automobile n’avait pas besoin d’inventer la bioéthique puisqu’elle n’a jamais quitté l’espace d’une régulation par les marchés.
ISSN:1760-7914